Le Quartier Gay du Marais
Le café COX le 23 juin 2023, la veille de la Marche des fiertés annuelle.
REGARDS SUR LA GAY-OGRAPHIE DE PARIS
Il ne faudrait pas croire que le Marais parisien a toujours regorgé des belles plantes et des oasis que nous connaissons aujourd’hui. Ce quartier ne s’est vraiment paré des couleurs chatoyantes de l’arc-en-ciel qu’à partir des années 80. Toutefois, les homosexuels n’ont pas attendu ces années pour vivre et investir Paris. L’image d’Épinal qui voudrait que les gays parisiens se soient terrés honteux, invisibles et malheureux comme des pierres en attendant les beaux jours de la visibilité, se trouve souvent bien malmenée. Le monde gay n’est pas né avec les mouvements d’affirmation et de revendication des années 70. De nombreux quartiers parisiens ont ainsi eu, au cours du temps, l’auguste honneur d’être nos repères et nos lieux de prédilection. Plongeons au cœur des annales géographiques de l’homosexualité à Paris...
À l’aube du xxe siècle, alors que de nombreux discours médicaux fustigent cette maladie mentale qu’est l’homosexualité, apparaissent à Paris de nombreux lieux de « sociabilité » homosexuelle. Bars, bals et bordels viennent compléter les divers lieux de rencontre en plein air. Ces endroits sont un moyen de résistance face à l’ordre social et à une certaine répression policière, ayant l’avantage d’offrir un cadre protégé. Ces lieux n’étaient toutefois pas concentrés en un seul quartier, mais principalement situés dans les IIe et IXe arrondissements.
Entre les deux guerres, les quartiers de Montmartre et de Pigalle vont prendre une place prépondérante dans la géographie des lieux gay même si de nombreux autres endroits essaiment la capitale. Il faut dire que la période (si joliment) nommée les années folles offre aux homosexuels une relative liberté et de facto des lieux adaptés à leurs cérémonies débridées. Le fameux bal du Magic City, dit « bal des invertis », rue Cognacq-Jay dans le VIIe arrondissement, ou le bal de la montagne Sainte-Geneviève, dans la rue du même nom dans le VIe arrondissement, surnommé le « bal des lopes », sont ainsi emblématiques de cette période. Paris chante, Paris danse, et les homos avec.
La Seconde Guerre mondiale met un terme à cette expansion des lieux homo. La clandestinité devient un leitmotiv pour les gays. Même si durant l’Occupation certains music-halls et cabarets continuent leurs activités, pour ce qui est de la drague, les homos leur préféreront souvent les toilettes publiques. Mais même ces quelques espaces de liberté disparaîtront avec l’adoption, le 6 août 1942, d’une loi de répression homophobe. La fin de la guerre n’apporte pas pour autant la respiration espérée pour les gays. La loi précédemment citée est toujours d’actualité, les discours médicaux sur l’homosexualité rivalisent d’imagination pour faire enfermer les homos dans une cellule capitonnée.
Une certaine libération se fait jour dans les années 60 et le quartier de Saint-Germain-des-Prés en devient un symbole comme haut lieu de la vie intellectuelle et culturelle parisienne où philosophes, auteurs, acteurs et musiciens se côtoient et se mélangent dans les clubs, les bars ou l’emblématique Drugstore. Les homos ne sont pas en reste, qui veulent également profiter de cet espace de liberté, mâtiné de « bohème attitude ». Le Café de Flore est investi par les tapettes, de même que le Drugstore. Toutefois, ce sont encore des lieux hétéro, que l’on pourrait simplement qualifier aujourd’hui de gay friendly. C’est donc de l’autre côté de la Seine qu’un embryon de quartier gay va émerger. La rue Sainte-Anne concentre les clubs privés, saunas et premiers bars officiellement homo. Le Pimm’s, le Colony, le Sept, autant de noms précurseurs attirant les homos simples mortels comme l’intelligentsia de l’époque, les artistes et ce que Paris compte comme jet-set. Il était tellement rebelle de venir s’encanailler chez les gays ! Certains lieux toléraient les hétéros alors que d’autres étaient exclusivement réservés aux homos. C’était le cas du premier sex-club gay de la capitale, le Bronx, une petite révolution qui attira la curiosité insatiable de certains hétéros prêts à tout pour voir ce qui se passait derrière la porte. La légende veut que Jane Birkin, accompagnée de Serge Gainsbourg, se soit déguisée en garçon pour y entrer. Pendant une vingtaine d’années, les homos se répartissent entre rive gauche et rive droite, reliées par le pont du Carrousel, les terrasses et bosquets des Tuileries.
Au début des années 80, deux événements vont complètement modifier cet équilibre géographique : la dépénalisation de l’homosexualité et la rénovation du quartier des Halles. Sont-ce les palissades de métal entourant le chantier et la possibilité d’un plan ouvrier ou le fait que ce quartier en évolution offre des possibilités de logement à prix modérés qui vont attirer les homos vers le centre ? Une chose est sûre, le quartier est en train de changer et il serait dommage de ne pas en profiter. Deux clubs vont propulser le quartier dans l’homosexualité affirmée : le Haute Tension, rue Saint-Honoré, et le Broad, rue de la Ferronnerie. Ces clubs symbolisent la modernité de la vie des gays et renvoient au Moyen Âge les clubs de Saint-Germain et de la rue Sainte-Anne. La concurrence est dure, mais un vieil adage gay dit que tout ce qui est dur est bon ! Après la dépénalisation, d’autres lieux gay apparaissent, comme le Club, rue Saint-Denis.
De même, dans le quartier proche du Marais, également en rénovation, des bars gay s’implantent, profitant des prix très abordables des locaux commerciaux. Les initiateurs étaient nommés le Village ou le Central (qui fait office de patrimoine homosexuel et vient de terminer sa rénovation). Un nouvel équilibre s’établit, venant remplacer l’axe Saint-Germain-Palais-Royal, avec la rue Rambuteau comme point de passage entre le quartier des Halles et le Marais.
Les Halles n’offrent toutefois pas le havre de paix tant espéré pour les homos ; sans compter le peu d’intérêt architectural pour les gays, ce nouveau quartier attire des personnes beaucoup moins ouvertes aux questions de mœurs. À la fin des travaux de rénovation, les homos vont alors se retirer vers le quartier historique du Marais où certains bars et clubs gay rencontrent déjà un fort succès. À la différence des quartiers investis par les gays auparavant, et parce qu’à autre temps, autres mœurs, les différents lieux homo sont ouverts sur la ville. C’est le début de l’insertion de la vie homosexuelle dans la vie quotidienne. À son image, encore aidés par l’urbanisation, de nouveaux lieux gay se réimplantent autour des Halles dans les années 90. La transformation du quartier Montorgueil en zone piétonne (qui avait pour but de chasser les commerçants de gros de la zone) permettra aux gays (disposant d’un certain pouvoir d’achat) de s’y installer, entraînant une nouvelle réhabilitation du quartier.
Bien que très critiqué, souvent accusé de favoriser le communautarisme, le quartier du Marais offre un lieu ouvert de loisirs et de vie pour les homos tout en ayant une fonction particulière, celle d’être une vitrine attirant les regards, autant ceux des hétéros que des homos. C’est toutefois la partie immergée de l’iceberg, car la capitale réserve désormais bien d’autres lieux pratiqués et vécus par les gays.
Le Mariage pour tous, l'égalité des droits en France.
Début 2013, avec l’arrivée de François Hollande au pouvoir, le débat est porté sur le mariage pour tous et le droit à l’homoparentalité. Des manifestations sont organisées par ceux qui réclament l’égalité tant prônée sur le devant de nos Mairies alors que d’autres, aux arguments douteux, se rassemblent pour interdire le mariage pour tous se mêlant d’un bonheur qui ne les concerne pas. Le marriage pour tous a été finalement adopté en France en 2015.
Maurice Godelier, l’un des plus grand anthropologue français, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales déclarait dans le Monde : « Pendant des millénaires, la société a valorisé l’hétérosexualité pour se reproduire. Mais souvent l’homosexualité au sein des sociétés a été reconnue dans la formation de l’individu, en Grèce antique par exemple. J’ai vécu sept ans dans une tribu de Nouvelle-Guinée, les Baruya, où, pour être un homme, il fallait être initié. Les initiés vivaient en couple homosexuel jusqu’à vingt ans. » Il ajoute, « L’humanité n’a cessé d’inventer de nouvelles formes de mariage et de descendance. » Et poursuit en rappelant que « l’homosexualité est une sexualité autre mais normale. Ce n’est ni une maladie, ni une perversion, ni un péché. Les deux espèces de primates les plus proches de nous sont bisexuelles, tout comme l’espèce humaine. C’est un fait scientifique. Si on ne le reconnaît pas, on continue à charrier de l’homophobie. », L’homosexualité comme l’hétérosexualité signifie désir et amour, rappelle-t-il.
Concernant le droit à l’adoption, le slogan brandit par les réactionnaires anti-mariage et anti-adoption : « un papa, une maman, on ne ment pas aux enfants » est un leurre évident puisque l’on sait après maintes études que la paternité et la maternité sont des fonctions. Elles ne sont pas liées au genre de la personne portant ces valeurs ; les pères ne se mettent-ils pas à materner ? N’ont-il pas droit aux congés paternité ? De plus en analysant les traités psychologiques, on comprend que le rôle du père ou de la mère est bien plus complexe que cet apparat réactionnaire de la parfaite famille nucléaire. Elle est une conception modelée par des siècles de christianismes propre à l’Occident et qui n’a aucun sens pour beaucoup d’autre sociétés.
Rappelons que le mariage pour tous existe depuis plus de 30 ans au Danemark : une monarchie constitutionnelle et l’un des plus beaux modèles de démocratie dans le monde, et que David Cameron, premier ministre conservateur Britannique a fait voté également le mariage pour tous, et la Reine Elisabeth II a reçu les organisations LGBT à Buckingham Plalace - respect !
Le 27 janvier 2013, 400 000 personnes de tous horizons avaient manifesté pour soutenir le projet de loi du gouvernement Hollande élu en mai 2012. La manifestation s’est déroulée dans la bonne humeur et les slogans les plus humoristiques ridiculisaient les oppositions au projet avec brio : citons ces quelques phrases : «on veut deux papas gays car on veut être bien habillés» «oui au droit de rouler en Scenic» «oui au divorce et aux pensions alimentaires» «une marmotte + une marmotte = une prairie heureuse» «Notre bonheur ne nuira pas au votre» «On s’aime … Et Alors»
Le projet de loi instituant le mariage et l’adoption pour tous mais excluant la procréation medicalement assistée a été adopté au printemps 2013 par l’assemblée nationale.
Un syndicat exemplaire pour défendre les droits LGBT
Le Marais voit s’installer son premier bar gay en 1980 appelé le Village, ensuite il y eu le Duplex qui existe encore aujourd’hui comme un bar alternatif… Jusqu’en 1981 et l’arrivée de François Mitterand au pouvoir, l’homosexualité était encore punie par la loi et considérée comme une maladie. Les bars n’avaient pas de vitrine sur rue, il fallait sonner pour entrer, la discrétion était de rigueur, les harcelements de la police étaient nombreux. C’est pour mettre fin à ces pressions et constituer un contre pouvoir organisé que s’est constitué le SNEG syndicat des entreprises gaies sous la présidence de Bernard Bousset et de nombreux autres militants et patrons d’établissements.
Avec l’ épidémie de sida, le SNEG joue un role de prévention et d’information avant tout pour lutter contre les discriminations. Il participe au lobbying des associations pour exiger des campagnes de pub ciblées qui prennent en compte les spécificités des populations gay. Relayant les institutions et associations il crée ses propres campagnes avec un certain succès.
En 1992, le SNEG se développe également comme un lobby de défense des commerces gay avec le boom du développement des bars, restaurants et clubs du Marais. L’année 1994 fut vraiment une année charnière et déjà 70 établissements dans le marais font partie du SNEG. La gay pride réunit 500 000 personnes pour l Europride en 1997, les années suivantes le chiffre sera toujours en progression, la manifestation se veut une fête et un mouvement revendicatif auquel participent de nombreux hétéros et gay friendly venus de toute part.
Chaque week end des dizaines de milliers de garcons sortent dans le Marais, le gros avantage du quartier c’est sa concentration et le fait que l’on puisse tout faire à pied et passer d’un endroit à l’autre rapidement en quelques minutes, un peu comme dans le quartier de Soho à Londres ou Schöneberg à Berlin. Aujourd’hui le SNEG mise aussi sur l’apport de clientèle touristique pour doper l’économie du quartier… Une part très importante du revenu de nos établissements vient des touristes sans qui nous aurions beaucoup de mal à survivre. L’Open est certainement l’endroit le plus cosmopolite du Marais, on y parle toutes les langues et l’anglais en premier. C’est le carrefour incontournable des touristes venus des 4 coins du monde. S’asseoir en terrasse et juste regarder passer les gens est un vrai plaisir pour eux, cela contribue à l’animation du quartier.
L’avenir du Marais gay est incertain, nous sommes dans une période de transition. Le Marais est devenu si populaire et si international que les gays n’en sont plus le seul moteur de renouveau. En fait peu de gays habitent le Marais car l’immobilier est devenu trop cher, ils y viennent car c’est le quartier idéal pour sortir, mais ne peuvent y rester à part ceux qui ont eu la chance d’acheter il y a 10 ans quand le quartier était encore abordable. Paris et son quartier gay a de veritables atouts pour séduire les touristes du monde entier, il est certain que nous devons faire des efforts sur la qualité de l’acceuil et séduire davantage la clientèle internationale, prenons exemple sur Londres que j’ adore c’est un excellent modèle de réussite pour une vie gay de quartier… Mais ce qui est possible ailleurs ne l’est pas toujours ici, Paris sera toujours Paris, avec ses contraintes et son état d’esprit !