A Paris, une Marche avec fiertés mais sans festivités.
La grande manifestation revendicative Marche des Fiertés a lieu en Ile de France samedi 24 juin dans le cadre du mois des Fiertés (Pride Month) sans gros chars sonorisés et en grande sobriété environnementale. Le choc fut certain dans l’esprit chagrin des contempteurs de la fête, pourtant elle aussi politique, et chez les acteurs touristiques ou de la Nuit.
La décision de l’Inter LGBT d'éco-concevoir la manifestation n’est pas nouvelle, cela fait deux trois ans que le sujet est dans les discussions de la délégation Marche et de la plénière de la principale confédération d’associations et de syndicats LGBTIQ+. Seulement, l’absence de recherche d’alternatives au format camionnettes de 6m et rosalie (petit véhicule à pédales), tel qu’indiqué dans le guide 2023 de la Marche pour les participants, est plus que regrettable.
La Marche francilienne, désormais en concurrence avec 76 autres défilés et quasi toute l’année, de Papeete en février à Saint Étienne en septembre, va vivre sa première édition “pancarte et rosalie”. Sachant que l’attractivité reposait sur un cortège de 38 tonnes sonorisés majoritairement réalisés par des ONG LGBT (les grosses organisations à dimension sociale et sanitaire), les branches LGBT de syndicats (CGT, FO, CFDT, Sud), les partis politiques ayant un courant LGBTIQ+ (de Renaissance au Parti Communiste), quelques institutions (DILCRAH, Mairie de Paris, Région Ile de France) et plus rarement des entreprises (Google, Tindr, BNP) et des offices de tourisme étrangers (VisitBritain), quel accueil offriront les publics habituels de la Marche ? Quand on regarde la diversité des publics, on ne peut que constater l’importance de la jeunesse francilienne, qui vient fêter la fin de l’année scolaire et les vacances. Les mêmes se retrouvent à la Techno Parade, qui marque elle le début de l’année scolaire.
Le manque de structuration de l’Inter LGBTIQ+ est sans doute une des raisons de l’absence d’alternative technique au choix environnemental. Il existe pourtant des tracteurs électriques de remorque (la France en fabrique comme Renault Trucks), des solutions de véhicules ou de générateurs solaires et la solution d’une compensation carbone. Celle ci demande une étude CO2 pour identifier les postes émetteurs et les moyens pour les réduire, sinon pour les compenser par des investissements financiers via une ONG qualifiée. Organiser une telle manifestation demande un certain professionnalisme et un travail à l’année. L’Inter LGBT n’a pas de bureau, pas de permanent et une équipe exclusivement bénévole. Le prestataire scénique compense certaines faiblesses de l’Inter et la Préfecture de Police laisse ses agents assurer une grande partie de la sécurité (ce qui ne se voit pas à d’autres occasions).
Attention, cet article n’a pas comme objectif de pousser à une privatisation de la manifestation, mais plutôt d'interpeller certains partenaires naturels de la Marche à s’investir dans les travaux de la confédération. Malheureusement, les entreprises LGBTIQ+, comme les bars, clubs et lieux de vie, n’ont visiblement pas la capacité de s’engager dans ceux-ci. Il faut du temps et de l’énergie pour participer aux multiples réunions, ce qui manque gravement à l’écosystème LGBT, malgré l’existence du seul syndicat professionnel LGBTIQ+ dédié à la filière de la restauration, de la Nuit et des saunas, Sneg & Co fondé en 1990 par Bernard Bousset. D’ailleurs l’absence du syndicat au défilé est regrettable, le Sneg ne fêtera pas avec ses publics ses 33 ans d’existence, lui qui a défendu tant de lieux communautaires face à l’intolérance et aux excès de pouvoir.
On ne peut que regretter une évolution dogmatique qui oublie quelques fondamentaux sur la fête et la convivialité, ainsi que du tourisme, voire du style de vie. C’est un choix de société, défiler avec des pancartes laisse sur le bas côté de nombreux artistes LGBT qui étaient invités sur les chars syndicats et associatifs. Le Grand Podium est pour le moment mis à l’écart de l’écoconception, mais pour combien de temps ? Il serait logique qu’il participe à l’objectif vertueux. Ces choix expriment une vision de la société et de la place des LGBT, sans folie, réduite à l’humilité due à la tragédie climatique et engagée résolument dans la décroissance. Ce sont des impératifs, mais il est possible d’ajouter du gros son et des paillettes dans l’effort collectif d’une Marche faiblement émettrice de CO2, regardez certains festivals à démarche responsable, les résultats sont probants.
Cet article ne veut pas lancer d’anathème inutile, juste taper sur l’épaule de celles et ceux qui n’ont rien compris au film de la Marche des Fiertés post Covid pour qu’ils et elles s’organisent pour prendre part aux discussions et actions de la confédération. Il n’y aura pas un nouveau Pierre Bergé de la fête queer prêt à claquer des millions pour financer un circuit festival, une nouvelle Pride (la marque est prête à autoriser son utilisation pour info) ou un bal délirant du 14 juillet. Il faut acter le XXIe siècle. Nous sommes à un siècle débutant qui a peur de son avenir. Les esthétiques de la cuirette à moto, des lesbiennes mécaniques, des grandes folles à cabriolets rutilants, des lesbian chic et des gym queens internationales sont révolues. C’est l’âge de l’écoqueer, des sorcières trans, des adelphes, des drag kings et queens recyclables. A cette génération de nous étonner dans un “tourbillon de la vie” (pour citer Jeanne Moreau) ou un clash esthétique des Titans. Le Gay Moto Club ouvrait auparavant le cortège, aujourd’hui place au “pôle radical”. Tout un symbole.
À propos de l’histoire de la Marche, voir l’article du magazine Têtu https://tetu.com/2023/06/16/pride-histoire-politique-festive-marches-des-fiertes/ , Hexagone Gay http://www.hexagonegay.com/Gaypride-Histoire.html et les archives INA https://mediaclip.ina.fr/fr/societe/gay-pride.html.
Christophe Vix Gras
Christophe Vix Gras est l’initiateur du premier fanzine sur la House en France en 1992, puis Directeur artistique de Radio FG de 1993 à 2000, commissaire des expos Global Tekno (1995/2001), co-fondateur et président de la Techno Parade (1997/2012), co-fondateur des guinguettes Rosa Bonheur à Paris (depuis 2008), des associations Paris LGBT (tourisme LGBT) et Play Safe Paris (prévention de l’usage des drogues et ChemSex), membre du Collectif des Archives LGBTIQ+ avec le projet sur Fréquence Gaie.
Photographies : Gay Moto Club (photo Henri Maurel) - Gais Retraités (photo Henri Maurel) - Char Radio FG 1994