Histoire des Monuments du Marais

Reportage et photos par Killian Barthélémy 

« La tournée des hôtels du Marais pourrait atteindre la renommée de celle des Châteaux de la Loire ». Le Marais, quartier de noblesse du vieux Paris, article paru dans la revue La connaissance des arts.

Un hôtel particulier est une maison noble qui apparait aux XIIIe et XIVe siècles. La centralisation du pouvoir s’accroit et les nobles et les gens de la cour se doivent d’avoir une résidence à Paris. Comme le château à la campagne, l’hôtel est la demeure d’un personnage important, le lieu d’un pouvoir et d’une démonstration monumentale. D’abord la propriété de grands seigneurs ou de nobles, ils deviennent dans un second temps la résidence de financiers, d’avocats, de parlementaires ou riches marchands.

 

hotels particuliers
Le Marais in 1450

I - La royauté prend ses quartiers dans le Marais.

Limitée par les deux bras de la Seine, l’île de la Cité, berceau historique de Paris devient rapidement trop étroite. Au sud, la rive gauche accueille déjà des collèges et de nombreuses habitations sur les flans de la montagne Saint-Geneviève. Au nord, la rive droite est régulièrement inondée par les crues du fleuve et n’est pas encore urbanisée. Elle offre de vastes terrains propices à de nouvelles constructions. Au Xe siècle, ce sont des communautés religieuses qui s’y installent et assèchent les terrains. Le Marais devient peu à peu le potager de Paris, on y cultive fruits et légumes. En 1190, le roi Philippe Auguste fait bâtir une enceinte pour protéger la ville. La muraille enrobe la rive droite et fait entrer le Marais dans Paris.

 

Hotel Saint Pol

En 1358, le dauphin, Charles V ( 1337 – 1380 ) réside au Palais Royal de la Cité lorsqu’une émeute menée par le prévôt des marchands, Etienne Marcel, force l’entrée du palais et égorge tous les conseillers royaux. Horrifié, Charles V décide de quitter l’île pour s’établir à l’hôtel Saint-Pol. Le Marais devient le siège du gouvernement royal et le roi fait construire une nouvelle enceinte pour défendre les lieux. Le tracée de l’enceinte va définir l’espace géographique du Marais: une base parallèle au fleuve, un pourtour défini par l’actuel boulevard Beaumarchais à l’Est et la rue du Temple à l’Ouest jusqu’à l’enclos du Temple au Nord. La suite du développement démographique du Marais s’apparente à un coloriage que l’on réalise en bouchant soigneusement les vides.

 

Quartier Saint Paul

A proximité de l’enceinte, Charles V décide d’édifier une forteresse. La Bastille, dont la construction est ordonnée en 1367, doit protéger le roi d’une possible révolte parisienne. Ces nouvelles constructions garantissent une défense sérieuse au Marais, et, à la suite du roi, s’y installent de grands seigneurs parmi lesquels le Maréchal de Rieux. Plusieurs édifices religieux sont également bâtis et de nombreux couvents établissent résidence dans le Marais (couvent des Blancs Manteaux, de Sainte-Croix de la Bretonnerie, des Célestins…). A la même époque, les archevêques de Sens se font bâtir le magnifique hôtel qui porte toujours leur nom. En 1370, Charles V décide de récompenser Olivier de Clisson, futur connétable de France. Il lui fait don d’une somme de 4000 Livres pour que ce seigneur de Bretagne fasse bâtir un hôtel à Paris. De l’hôtel de Clisson ne reste plus aujourd’hui qu’un portail monumental, rue des Archives. Cet épisode témoigne d’une nécessité de plus en plus importante, pour les nobles, de résider à Paris, à proximité du roi.

La Bastille in 1420
La forteresse de la Bastille (1420)

En 1388, le Marais est très peu densément bâti, il compte encore des bois et des prairies, lorsque Charles VI (1368 – 1422) décide l’édification d’un nouvel hôtel royal, l’hôtel des Tournelles. A partir de 1436, l’hôtel accueille les rois de France: Charles VII (1402 – 1461) d’abord puis Louis XI (1423 - 1483), Charles VIII (1470 – 1498), Louis XII (1462 - 1515) et François Ier (1494 – 1547). La révolte parisienne contre Charles V et les exactions d’Etienne Marcel ont amené le roi à quitter l’île de la Cité pour le Marais. La royauté va s’établir durablement dans le quartier, à l’hôtel Saint-Pol puis aux Tournelles. Vaste et peu urbanisé, le Marais accueille peu à peu les seigneurs et les nobles qui y bâtissent des hôtels et souhaitent se rapprocher de la personne royale.

II – A la Renaissance, l’essor du Marais.

Durant la Renaissance, le Marais connait un essor continu. Au XVIe siècle, de nouvelles rues viennent quadriller  les terrains et le long de ces rues sont construits de luxueux hôtels particuliers : l’hôtel de Ligneris (aujourd’hui Carnavalet), de Marle, (l’institut Suédois aujourd’hui) d‘Angoulême (aujourd’hui Lamoignon), de Sandreville et de Savourny. Ils marquent la première véritable vague de constructions d’hôtels particuliers dans le Marais. Construits par la noblesse de robe ( les universitaires ), des serviteurs de l’Etat anoblis par leurs charges qui souhaitent transposer à la ville les modèles des châteaux de la campagne.

En 1559, la France connait le début des Guerre de religion lorsque le roi Henri II, décède à l’occasion d’un tournoi. Blessé à l’œil par la lance du comte de Montgomery, un protestant de surcroît, le roi rend son dernier souffle dans l’hôtel des Tournelles. Catherine de Médicis, sa femme, qui ne supporte plus d’y vivre, le fait raser. La royauté quitte le Marais pour le palais du Louvre mais l’évènement ne va pas mettre fin à la dynamique nobiliaire dans le quartier. Le voisinage de l’hôtel royal de Saint-Pol (Charles V, Charles VI) et de celui des Tournelles (François Ier, Henri II) était la principale explication de la présence nobiliaire, et avec elle, de la construction d’hôtel particuliers dans le Marais. La famille royale partie, c’est un vaste projet immobilier qui va donner toute son attractivité au Marais.

 

Hôtel de Sens, 1841 (gauche) et 1914 (droite)

 

Hôtel de Sens (aujourd'hui)

Le XVIIe siècle et, avec lui, le règne d’Henri IV donnent au Marais toutes ses lettres de noblesse. L’endroit est l’objet d’une attention toute particulière de la part du roi. Les Guerres de religion terminées, le siège de Paris achevé, le roi de Navarre est désormais roi de France et il découvre un Paris en partie détruit. Henri IV ambitionne de reconstruire la ville et de l’embellir. Il entreprend la réalisation d’une merveilleuse place, la Place Royale (aujourd’hui place des Vosges) en lieu et place de l’hôtel des Tournelles. En 1604, sur les conseils de François Miron, prévôt des marchands, le roi décide d’affecter ces terrains à la construction d’hôtels particuliers. On divisa les constructions en lots identiques qui furent vendus à des notaires, des médecins et des militaires. Un édit royal imposa l’interdiction aux propriétaires d’apporter la moindre variation à l’aspect extérieur de l’édifice. Par sa beauté, sa régularité, son étendue la Place Royale devient le lieu de prédilection de la cour et va jouer un véritable rôle de catalyseur pour le développement du Marais.

 

La Place Royale en 1645.

Henri IV se révèle être le « premier urbaniste de Paris ». Il murit un second projet ; la réalisation d’une monumentale Place de France sur les terrains du Temple au Nord du Marais. Elle doit célébrer les provinces de France, à l’issue de Guerres de Religion qui ont divisé le pays. Le projet suscite l’engouement, en témoigne le nom  des rues tracées à cette époque, elles portent le nom de régions ou de provinces françaises : rue de Bretagne, de Poitou, de Normandie, de Saintonge... Finalement le projet est abandonné en 1610 et Ravaillac y met un terme définitif en même temps qu’il poignarde le roi. Les projets du Vert Galant ont donné lieu à une fièvre spéculative dans le Marais. Les valeurs mobilières étant peu nombreuses à l’époque, la pierre demeurait le meilleur moyen pour investir ses pièces. La population parisienne double en quelques décennies, elle passe de 200 000 habitants à la fin du XVIe siècle à 400 000 habitants en 1637.

La Place Royale est achevée au début du règne de Louis XIII, en 1612. L’endroit est à la mode, tout le Siècle passe au Marais. Si Louis XIV quitte Paris pour Versailles, le Marais préserve toute son attraction. Le nombre et l’importance des nouveaux hôtels qui y sont bâtis témoignent de l’attachement de la vieille aristocratie pour ce quartier dont elle a pris possession depuis le règne de Charles V. Y vivent pêle-mêle : l’architecte François Mansart, Aubert de Fontenay, secrétaire du roi, qui fait construire l’hôtel Salé, Claude Boislève qui acquiert l’hôtel Carnavalet, Nicolas Fouquet, surintendant des finances de Louis XIV, François Hannibal d’Estrées, Maréchal de France ou le puissant Duc d’Aumont. On y retrouve aussi des magistrats, notamment Guillaume de Lamoignon, premier Président du Parlement de Paris. Le Marais compte également des écrivains, au premier rang desquels Madame de Sévigné, née dans un immeuble de la Place Royale, et qui vécut dans le Marais tout au long de sa vie, à différentes adresses. En 1677, lors de son installation à l’hôtel Carnavalet, Madame de Sévigné écrivait ces mots à sa fille : « Ici, nous aurons le bel air, une belle cour, un beau jardin, un beau quartier ». 

III – Vers un inexorable déclin.

Avec la fin du règne de Louis XIV, les plus grandes heures du Marais sont derrières lui. La construction des somptueux hôtels de Soubise et de Rohan (1705-1708) semble marquer tout à la fois l’apogée et le déclin du Marais aristocratique. Dès la moitié du XVIIIe siècle, « la marche vers l’ouest » voit la noblesse s’enticher du Faubourg Saint-Germain. Les grandes familles s’éloignent et vendent leurs hôtels particuliers à des bourgeois aisés ou à une petite noblesse sans grand moyens. Les grandes heures du Marais sont derrières lui, si bien qu’au XVIIIe siècle, le curé de Saint-Gervais, Thomas Boüillerot, tient un constat alarmant : « Qu’est-ce que le Marais ? Dans quel discrédit n’est-il pas tombé : « Icy logeoit un prince de sang, avec toute sa cour, et c’est aujourd’huy un hôtel garny ; ici logeoit un premier président, et c’est aujourd’huy un loueur de carrosses… »

 

L’hôtel Guérard et l’hôtel Pierre d’Almeras, la photo témoigne de l’installation de petits artisans.

Un siècle plus tard, la différence avec le ton et les mots employés par Madame de Sévigné fait réagir. A la fin du XVIIIe siècle, la vague révolutionnaire finit de chasser les derniers bourgeois du Marais. La famille royale passe ses derniers jours dans le donjon du Temple, le Marais n’a plus rien du quartier noble et royal qu’il était. Louis XVI y est emprisonné jusqu’au jour de son exécution et Louis XVII, le Dauphin y meurt en captivité à l’ âge de 10ans dans des conditions effroyables. L’heure est aussi à la déchristianisation ; les paroisses et les couvents sont bientôt fermés. On profane les tombes, on pille le patrimoine de l’Eglise. Les cloches sont fondues pour faire des canons. La France révolutionnaire est en guerre contre les monarchies europénnes.

Au XIXe siècle, délaissé, le Marais est envahit par les commerces de gros et l’artisanat. Le quartier s’appauvrit et voit sa population changer. Les  hôtels particuliers sont vendus, squattés, pillés. Les plafonds peints et les lambris sont arrachés pour être remontés dans les maisons neuves des quartiers à la mode (rive gauche), ou dans de belles demeures à l’étranger. Laissés à l’abandon de nombreux hôtels sont détruits pour laisser place à des immeubles de rapport. Des rats investissent les hôtels particuliers en ruine et l’on introduit de nombreux chats pour les débusquer. Par chance le Marais échappe aux grands travaux menés par le Baron Haussmann (1809 – 1891), préfet de La Seine). Son obsession des grands axes, vaut à certains quartiers de Paris de nombreuses démolitions.

 

Le Marais connait un inexorable déclin et le début du XXe siècle n’échappe pas à cette décadence. En 1925, Le Corbusier dévoile le plan Voisin qui propose de raser une bonne partie du Marais pour y faire construire de grande tour d’habitations. Le plan n’est pas mis à exécution mais le Marais est tout de même modifié. Des prolongements et l’élargissement de certaines rues ainsi que la construction d’immeubles à usage industriels provoquent la destruction de plusieurs hôtels particuliers : l’hôtel d’Effiat, l’hôtel de la Vieuville, l’hôtel le Peletier de Mortefontaine, l’hôtel Bourrée de Corberon, et plus récemment l’hôtel Raoul, l’hôtel de la Michodière… 

 

Maquette du plan Voisin, 1925.

Ce déclin lent et continu d’un quartier historique de Paris a fait se mobiliser de nombreux acteurs. Pour mettre fin au saccage des hôtels particuliers, l’Etat (Rohan-Soubise), la Ville de Paris (Carnavalet) et différents mécènes acquièrent de grands hôtels particuliers pour les restaurer. De nombreux riverains, aidés par des historiens s’insurgent de la destruction du Marais, fleuron du Paris historique. Le plan de sauvegarde et de mise en valeur du Marais décidé par André Malraux en 1962 arrive à point nommé, il ambitionne de préserver le quartier en favorisant les restaurations. Le Ministre de la Culture du Général de Gaulle tente une expérience nouvelle : la réhabilitation du Paris historique. Dès lors, les destructions cessent, le patrimoine architectural est préservé, et restauré. Paris prend conscience de la richesse du Marais.

 

L’hôtel de Beauvais en 1914, et aujourd’hui, après rénovation.

SOURCES

Ouvrages.

D. CHADYCH, Le Marais, Évolution d’un paysage urbain, Parigramme, Paris, 2005.
A. GADY, Le Marais, Guide historique et architectural, Le Passage, Paris, 2002.
A. GADY, Les hôtels particuliers de Paris, Du Moyen-Âge à la Belle Époque, Parigramme, Paris, 2008.
J. HILLAIRET, Dictionnaire historique des rues de Paris, Editions de Minuit, Paris, 1963.
M. STRÖM, Paris en détails, Le Marais, Michel de Maule, Paris, 2011.

Articles.

Association pour la Sauvegarde et la Mise en valeur du Paris historique, À la découverte du Marais, 2001. 
J. Wilhelm, Le Marais, quartier de noblesse du vieux Paris, paru dans Connaissance des Arts, Mai 1956.

 

 

 

Découvrez la “Bible “des hotels particuliers du Marais, le sublime ouvrage de la photographe Suédoise Marianne Ström qui photographia les hôtels particuliers dès les années 70 avant leur rénovation jusqu’ à aujourd’hui. Marianne est historienne d’art et La photographe de référence internationale sur l’architecture du Marais.

Le livre “Le Marais en détails” de Marianne Ström est disponible à la librairie du musée Carnavalet et à la librairie de L’ hotel de Sully

www.artspublics.net